ET IN ARCADIA EGO, épitaphe gravée – texte dans l’image – sur les tombeaux des œuvres de ces deux peintres, pose d’emblée un problème de traduction en raison de sa syntaxe elliptique : l’absence de verbe. Le roi GEORGE III, au dix-huitième siècle, l'interprète : Moi aussi, la mort, j’existe en Arcadie ! C'est en fait, deux conceptions de l’Arcadie qui s’opposent : la première, celle d'un état primitif de félicité décrit notamment dans la poésie latine : OVIDE, VIRGILE, la seconde celle d'un état primitif rude et austère chez les auteurs grecs : POLYBE.
Si l’on s’en tient à la conception latine, il semble bien que nous sommes dans la nostalgie d’une situation adamique : celle du paradis perdu. Poussin se pose-t-il cette question, à travers ses versions successives ? N’est-il pas dans la recherche de la trace de cette image originelle de l’homme, le sujet de ce premier souvenir d’enfance ? Freud nous montre que cette première image - Urschrift - ce premier souvenir est paradoxalement hors sujet. Il est une fabrication du psychisme. De même le thème proposé par le cardinal ROSPIGLIOSI est une invention, une fabrication mentale.
J’ai choisi cette œuvre - et reconstitue à travers de multiples déclinaisons et de mise en abyme – la seconde version de Poussin. Je poursuis une quête personnelle autour de cette première image. Cette quête au demeurant me conduit vers un antérieur constamment repoussé : une préquelle préludant une autre. À l’instar de ce maître qui, version après version, image après image, d’abord dans son histoire et dans l’histoire de la peinture dévoile qu’en fin de compte la première image sera encore une invention.
Et pourquoi pas tout simplement, celle de la peinture ?
RÉFÉRENCES ET LIENS
Nicolas POUSSIN, Les Bergers d'Arcadie , dit aussi Et in Arcadia ego, circa 1628
huile sur toile, 101 x 82 cm
collection Chatsworth, UK.
Nicolas POUSSIN, Les Bergers d'Arcadie, dit aussi Et in Arcadia ego, circa 1640
huile sur toile, 85 x 121 cm
Museé du Louvre , Paris.
Giovanni Francesco GUERCINO, Et in Arcadia ego, 1618-1622
huile sur toile, 81 cm × 91 cm (32 in × 36 in)
Galleria Nazionale d'Arte Antica, Rome.
Michel NEBENZAHL, Pour une invention du paradis, propos sur la peinture de Patrick CRÉDEVILLE, juin 2000
PANOFSKY. E., L'Œuvre d'art et ses significations, Paris, Éditions Gallimard, 1969.
PANOFSKY. E., Essais d'iconologie, Paris, Éditions Gallimard, 1969.
ROSENBERG, P., Nicolas POUSSIN catalogue, Paris éditions RMN, 1994